Alexandre Jardin : Interview
2002
[réalisée par sa maison d'édition, Gallimard,
à propos de la sortie de Mademoiselle Liberté]
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« Je me méfie toujours de ceux qui ont une vie
sentimentale médiocre...
l'exigence amoureuse reste le dernier héroïsme en temps de paix ! »
Pas seulement l'amour absolu. Liberté ne veut aucune forme de
compromis. Et elle considère que si l'on transige en amour, c'est la porte ouverte à
tous les autres compromis.
En fait, la société, le monde entier conspirent pour vous apprendre à devenir
raisonnable, à vous contenter d'un petit morceau de bonheur. Elle, elle veut tout ! Au
fond, c'est quelqu'un de très sain ! Et je considère que l'exigence amoureuse reste
le dernier héroïsme en temps de paix !
Un peu, dans le sens où plus j'avance dans la vie, moins le compromis m'intéresse. J'aimerais bien que ce personnage soit moi, en effet. Mais Liberté est aussi une Antigone, ou plutôt Antigone telle que je me l'imagine : je ne me suis jamais fait une idée éthérée du personnage, j'ai toujours imaginé qu'une vraie Antigone est une femme extrêmement sensuelle ce qu'est Liberté, qui a une exigence érotique considérable. Je la considère comme un archétype féminin, totalement hors du temps.
C'est vrai. Les personnages ne m'intéressent vraiment que s'ils prennent une dimension archétypale, je ne suis pas très intéressé par les cas particuliers. Ils peuvent m'amuser, me divertir, mais s'ils ne représentent qu'eux-mêmes, je ne me sens pas concerné. Je suis moins intéressé par mon propre cas particulier que par ma part d'universalité. Il est plus agréable d'écrire sur des personnages intemporels, porteurs d'aspirations universelles. Liberté exige ce que toutes les femmes aimeraient exiger, ce que toutes rêvent de demander à un homme : de recommencer ce qui est imparfait.
Son universalité réside dans sa médiocrité. Certes, tout le monde tolère une certaine quantité de médiocrité, mais ce qui le distingue est qu'il est un médiocre exceptionnel, parce qu'il a délibérément choisi d'être absolument médiocre, d'atteindre la perfection dans la grisaille
C'est un livre jouissif, oui, c'est le mot ! C'est jouissif de faire
vivre un personnage qui ne supporte pas ce qu'on est contraint de tolérer : vivre un
éternel brouillon. J'ai toujours le sentiment de vivre au-dessous de ce que devraient
être les instants. Là, pendant deux cent vingt pages, j'ai pu vivre mieux qu'un
brouillon ! J'avais affaire à deux personnages démesurés, dégageant une énergie
formidable, qu'ils me communiquaient pour écrire.
Mademoiselle Liberté me donnait toute liberté d'action, parce qu'elle ne renonce
absolument à rien : c'est nécessaire à l'accomplissement de son objectif. Elle
n'est pas retenue par la peur du risque, en clair, elle a été très bien élevée !
Comme j'avais besoin de créer un personnage qui porte ma plus belle part, j'ai voulu confier à une femme les aspirations qui me plaisent le plus. Cela tient sans doute aussi à une évolution personnelle, qui fait que je suis beaucoup plus prêt aujourd'hui à ne pas craindre d'être dominé par un caractère féminin. J'ai attendu trente-deux ans pour écrire sur une femme, parce qu'il faut du temps pour cesser de craindre les femmes et accepter de leur remettre entièrement les clés !
Dans la vie, je me méfie toujours de ceux qui ont une vie sentimentale médiocre. C'est pour moi le baromètre de notre exigence en face de la vie. La médiocrité en amour jette un discrédit total sur l'ensemble de la personne, quels que soient ses points forts. Ceux qui aiment mal vivent de façon défectueuse.
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